« Le nouvel ordre mondial : les Brics aspirent à devenir les leaders économiques et politiques »

Un nouvel ordre international sans domination occidentale : Bertrand Badie et les Brics

Introduction

Les Brics – le groupe composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud – se réunissent ce mardi 22 août en Afrique du Sud. Selon Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris, les Brics cherchent à créer les conditions pour faire émerger un nouvel ordre international qui ne serait plus centré sur la domination occidentale. Dans cet entretien avec Olivier Tallès de La Croix, Bertrand Badie analyse le fonctionnement des sommets des Brics, discute des intérêts politiques communs entre ces pays et examine les possibilités d’élargissement du groupe. Il souligne également l’importance du “Sud global” dans cette dynamique de contestation de la domination occidentale.

Les sommets des Brics : une structure de concertation et non de délibération

Dès les années 2005-2006, les Brics se sont transformés en une structure de concertation informelle entre des pays dotés d’économies émergentes, grâce à une initiative russe. Ces sommets fonctionnent selon un ordre du jour souple, où les discussions informelles et les dîners prennent souvent plus d’importance que les débats officiels. Bien qu’ils ne donnent pas lieu à de véritables décisions, ces rassemblements permettent de mieux connaître les attentes et les intérêts des partenaires, ouvrant la voie à de nouvelles formes de convergence politique.

Le politique prime sur l’économie dans les Brics

Les différences économiques entre la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et la Russie sont si grandes que le politique a rapidement pris le dessus sur l’économie au sein des Brics. Ces pays constituent ainsi un ensemble capable de contester l’hégémonie politique occidentale qui s’est imposée après la guerre froide. Contrairement au G7, qui représente principalement les anciennes puissances coloniales, le groupe des Brics est plus inclusif et représente des pays des quatre continents, discutant même l’entrée de nouveaux membres.

Les intérêts politiques communs des Brics : contester l’ordre international actuel

Les Brics visent à actualiser la mondialisation en créant de nouvelles structures de concertation politique. Ils souhaitent créer un nouvel ordre international en se démarquant de l’ordre existant et en lançant des formes nouvelles de coopération politique, notamment en contournant les institutions internationales traditionnelles qui paraissent en panne, comme l’ONU. Ils offrent ainsi une alternative à la domination occidentale en contestant l’hégémonie politique que celle-ci a établie après la guerre froide.

L’élargissement des Brics : entre isolement de l’Ouest et dégradation de la concertation

L’élargissement des Brics est considéré comme un pari sur l’avenir. Selon une vision optimiste partagée par de nombreux dirigeants du groupe, en s’élargissant, les Brics pourraient isoler voire marginaliser le monde occidental, tout en créant un espace de connivence qui permettrait d’établir un nouvel ordre international. Toutefois, cela pourrait également dégrader la qualité de la concertation au sein du groupe. Malgré ces incertitudes, il est certain que les Brics cherchent à se démarquer de l’ordre international actuel, qui a montré sa faillite lors du conflit russo-ukrainien.

Le “Sud global” : une alliance des exclus de l’ordre international ancien

Le “Sud global” désigne l’ensemble des pays qui étaient exclus de la gouvernance mondiale et qui cherchent désormais à s’émanciper de toutes les formes de domination. Cette alliance regroupe les pays qui ont été humiliés et marginalisés dans l’ancien système mis en place à la fin de la guerre froide. Cette dynamique de contestation trouve un écho chez ceux qui se sentent victimes de la domination occidentale. Ainsi, la Russie joue avec succès la carte de la défense des exclus de l’ordre international suite à ses revers en Ukraine.

Le rejet de la domination occidentale comme catalyseur de l’alliance du Sud global

Le rejet de la domination occidentale est effectivement le premier facteur qui rassemble les pays du Sud global. Cependant, Bertrand Badie souligne qu’il serait une erreur de limiter les dynamiques actuelles à cette contestation. En réalité, ce qui est en jeu est la volonté de construire politiquement la mondialisation, qui a profité davantage aux pays émergents et est devenue un instrument de contestation de la domination occidentale. L’Occident a longtemps cru que la mondialisation était son produit, mais il se rend compte aujourd’hui qu’il a perdu le contrôle sur cette dynamique.

Les jeux ne sont pas faits pour l’Occident

Bien que les institutions multilatérales, contrôlées par l’Occident, aient montré leur faillite dans les domaines politique et sécuritaire, il est prématuré de déclarer que l’Occident a déjà perdu. Les États du Sud peuvent être unis dans leur rejet de l’Occident, mais sont loin d’être sur la même ligne en pratique. Les conflits sino-indien, l’instabilité du Moyen-Orient et les prédations commises par certains États africains sur leurs voisins sont autant d’exemples des différences et des tensions qui existent dans ce groupe. De plus, l’avenir de la mondialisation elle-même et les formes nouvelles de contestation qu’elle engendre sont des facteurs déterminants dans l’évolution de cette dynamique.

Conclusion

La réunion des Brics en Afrique du Sud ouvre de nouvelles perspectives pour l’émergence d’un nouvel ordre international et la contestation de la domination occidentale. Les sommets des Brics fonctionnent comme des espaces de concertation politique, où les discussions informelles permettent de mieux comprendre les attentes et les intérêts des partenaires. Les Brics cherchent à actualiser la mondialisation en lançant des formes nouvelles de coopération politique. Toutefois, l’élargissement du groupe et les différences entre les pays membres présentent des défis à cette dynamique. En outre, le “Sud global” représente une alliance des exclus de l’ordre international ancien, déterminée à contester la domination occidentale. L’Occident a certes perdu du terrain, mais les jeux ne sont pas encore faits, car les défis internes et l’avenir de la mondialisation restent des facteurs incertains.