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Exploration éditoriale sur la politique étrangère de la Russie

Exploration éditoriale sur la politique étrangère de la Russie

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“Nous avons laissé Poutine avancer ses pions partout”, une conversation avec François Hollande

Entretiens Politique

Dans un entretien fleuve, l’ancien président de la République raconte le double jeu de Poutine à Minsk, se souvient des débuts de l’opération Barkhane et s’inquiète du virage à droite du continent. Alors que la guerre s’étend, il appelle à structurer une « Europe-cœur » pour affronter les grandes transitions à l’échelle continentale.

Un ancien président condamné en appel

Un ancien président de la République a été condamné en appel — ce qui est une première dans l’histoire de la Ve République. Quelles sont vos considérations sur les implications de cette condamnation pour l’image de la France ?

Au-delà de la décision de justice, qu’il ne m’appartient pas de commenter, d’autant qu’elle a donné lieu à un pourvoi, cet événement crée forcément des crispations puisque certains ont cru pouvoir mettre en cause des juges, ce qui est préoccupant pour le respect de nos institutions. Des anciens chefs d’État ou de gouvernement ont déjà été jugés, parfois condamnés, en Europe et aux États-Unis. C’est à chaque fois un élément de trouble dans la vie politique et d’affaiblissement du lien entre les citoyens et leurs représentants. D’où la nécessité de l’exemplarité.

Le double jeu de Poutine à Minsk

L’enchaînement des événements qui ont conduit à une guerre — dont Poutine est bien sûr seul responsable — est parfois attribué à l’échec des accords de Minsk, présenté comme un succès diplomatique à l’époque (notamment par la chancelière Merkel et vous) mais dont plusieurs décisions ne furent jamais appliquées. Depuis 2014 et la première réunion à Bénouville en Normandie, vous avez beaucoup échangé avec les deux parties — Poutine et Porochenko à l’époque. À l’issue des seize heures de négociations à Minsk en février 2015, puis dans les mois qui ont suivi, à quel point croyiez-vous réellement à l’efficacité du processus ?

Nous n’avions aucune illusion sur ce que Poutine pouvait chercher, c’est-à-dire la division de l’Ukraine. Pour lui, Minsk était un moyen de consacrer l’avancée des séparatistes et ensuite d’admettre un processus dont il faisait tout pour qu’il maintienne ce statut quo. Angela Merkel et moi avions l’objectif de rappeler avec Minsk I la règle fondamentale en droit international de l’intangibilité des frontières. Nous savions qu’il faudrait longtemps avant de retrouver une confiance réciproque entre les régions occupées par des séparatistes et le gouvernement élu démocratiquement. Poutine, en acceptant le Protocole de Minsk, n’avait pas l’idée d’envahir l’Ukraine à ce moment-là. Il avait déjà envahi la Crimée. S’il l’a fait le 24 février 2022, c’est qu’il a eu l’impression — fausse — que l’Occident était en recul, que le déclin américain était avéré, que la débâcle en Afghanistan en était l’illustration et que l’Europe était impuissante et les Ukrainiens incapables de se défendre. La responsabilité que les occidentaux ont eu pendant toutes ces années est de ne pas avoir fait comprendre à Poutine que, s’il se lançait dans cette aventure, il aurait à payer un prix très élevé.

Notre faiblesse face à la Russie

L’autre erreur a été de montrer notre faiblesse sur certains sujets, notamment celui de la Syrie qui s’est conclue par la victoire de Bachar al-Assad donc par celle de la Russie. Nous avons laissé Poutine avancer partout ses pions dans le monde et développer son attitude belliqueuse à l’égard de ses voisins (Arménie, Kazakhstan, Biélorussie). C’est ce qui l’a conduit, par une sous-estimation de la réalité, à envahir l’Ukraine.

La nécessité d’une Europe de la défense

Considérez-vous que si les États-Unis n’avaient pas été aussi focalisés sur la Chine, les choses auraient pu en aller différemment ?

Sûrement. Obama, élu en 2008, a érigé la zone Pacifique en zone prioritaire à la fois sur le plan économique, commercial mais aussi militaire. À la suite des opérations en Irak, en Libye et en Afghanistan, les États-Unis entendaient revenir à des considérations davantage domestiques. Il ne s’agissait plus de se positionner en hyperpuissance dont personne ne louait l’efficacité. L’Europe s’était installée elle-même dans une position d’effacement politique : la dimension militaire n’était pas sa priorité. Ses dirigeants pensaient qu’en démultipliant les échanges avec la Russie et en important du gaz, il serait possible de neutraliser Vladimir Poutine. C’est avec le même raisonnement qu’elle a établi ses relations avec la Chine. Elle ne voulait pas ouvrir des contentieux commerciaux car rien ne devait empêcher de commercer plus largement encore et d’investir toujours davantage en Chine. Notre continent n’est pas apparu comme une puissance politique et militaire — c’est moins le cas aujourd’hui. Mais il a fallu une guerre en Ukraine pour nous ouvrir les yeux.

La France a-t-elle encore des cartes à jouer dans la région ?

Oui. D’abord parce que nous disposons d’une base militaire implantée aux Émirats ; ensuite, parce que nous avons des relations commerciales importantes avec l’ensemble du Moyen-Orient ; enfin parce qu’il y a une tradition liée à la présence de la France au Liban et en Syrie, du temps du mandat. Un dernier point — qui fait écho à la question de « l’alignement » évoquée dans le dernier numéro de votre revue — est que nous avons toujours fait la preuve dans cette région que nous agissions en tant que pays indépendant, non liée aux intérêts américains.

Les leçons de Barkhane et de l’opération en Syrie

Un autre dossier a marqué votre mandat : l’Afrique subsaharienne. Après la fin de Barkhane au Mali et la montée en puissance de Wagner dans toute la région sahélienne, une page se tourne — et la France accuse une perte d’influence notable, qui ne se compte pas uniquement en nombre de soldats. Il est difficilement contestable que quelque chose à été manqué. Si l’intervention Serval s’intégrait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme — et avait d’ailleurs était accueillie assez positivement par l’opinion et la classe politique à l’époque — comment expliquez-vous son enlisement avec Barkhane ?

L’intervention était nécessaire. Serval n’a été engagée que parce que les chefs d’État africains — le président par intérim du Mali d’abord, mais aussi tous les présidents de la CEDEAO — ont tous souhaité notre aide. Barkhane était utile : elle permettait non pas simplement de chasser les terroristes, comme c’était le cas pour la première phase de l’opération, mais de structurer une défense du territoire encore menacé — au Nord du Mali, mais aussi dans la zone des trois frontières Burkina-Niger-Mali. Le problème est venu de la durée de l’opération. Au début, une armée est accueillie comme une libératrice ; à la fin, elle est dénoncée comme une force d’occupation. Ce ne fut pas de la seule responsabilité de la France. Hélas, ce serait trop simple. En réalité, il fallait compter avec l’inefficacité des missions de maintien de la paix de l’ONU et la faiblesse des forces armées africaines — voire même quelquefois leurs contradictions, puisqu’à défaut de défendre leur propre territoire, elles ont renversé les présidents légitimement élus au Mali et au Burkina Faso. Barkhane était utile ; le problème est venu de la durée de l’opération. J’admets que des leçons doivent être tirées.

La France doit rappeler sa position traditionnelle sur l’unicité de la Chine mais aussi le statu quo donc l’autonomie, qui jusque-là a préservé la paix. N’oublions pas qu’il y aura bientôt des élections à Taïwan. Même si ce ne sera pas un choix binaire — indépendance ou absorption — une nouvelle donne sera néanmoins révélée par le scrutin.

La bataille pour le multilatéralisme

Vous mentionnez le besoin de changer les règles de la gouvernance mondiale, de donner plus de voix et de pouvoir aux pays émergents. Mais comment cela peut-il être réalisé dans un contexte où le nationalisme et le populisme semblent gagner du terrain ?

La bataille est en effet forte entre le multilatéralisme qu’incarnent les institutions internationales, et ces mouvements très nombreux de repli national. Cela suppose une volonté politique forte, et non simplement des dirigeants qui réagissent à l’actualité. Les chefs d’État et de gouvernement doivent prendre le temps de se concerter, comme ils l’ont fait à la COP21 pour l’accord sur le climat, et trouver les règles d’une action commune, y compris en matière de commerce ou de régulation financière. La Chine n’a pas attendu qu’on lui demande des comptes pour prendre des initiatives. Elle a lancé l’initiative de la BRI (Belt and Road Initiative). Elle a aidé des pays, non pas simplement en développant des échanges commerciaux, mais en consacrant un investissement tel que ces pays se trouvent aujourd’hui pris dans une forme de dépendance. Or, c’est le multilatéralisme qui doit permettre d’éviter que chaque pays ne dépende exclusivement d’un autre. François Hollande

Redéfinir le rôle de l’Europe

Face à l’émergence de nouvelles puissances et à l’éclatement des relations internationales, que doivent faire les pays européens pour peser sur la scène internationale ?

Il est grand temps d’associer la part la plus peuplée de la planète aux décisions. Cela suppose — et je crois que c’est aux démocraties d’en faire la proposition — de changer les règles de la gouvernance mondiale, pour que ces pays-là se sentent représentés et considérés. L’agenda doit inclure les sujets liés à l’écologie, l’énergie, la préservation des espaces, l’éducation de la population et le rôle des femmes. Ces pays sont aux prises avec tous ces défis et, dans les institutions mondiales, ils ont le sentiment — justifié — de n’être que des invités. On l’a encore vu au G20.

La France doit inventer quelque chose de nouveau avec cette région. En Afrique, nous sommes toujours confrontés à un double reproche — celui de la colonisation, et de ne pas lui avoir donné toutes ses chances. Avec l’Amérique latine, nous n’avons pas ce type de ressentiment. L’émancipation de l’Amérique latine a été, d’une certaine manière, plus simple. Pour des raisons historiques et géographiques, ses habitants regardent davantage vers l’Europe que vers les États-Unis. Ces pays ont une communauté culturelle avec nous. L’Amérique latine est absolument cruciale pour la France. Les pays importants qui la composent — le Brésil, l’Argentine, la Colombie et le Chili, qui reste une référence — sont peut-être le meilleur point d’entrée possible pour commencer à redéfinir notre relation avec ce monde émergent.

La France doit rappeler sa position traditionnelle sur l’unicité de la Chine, mais aussi le statu quo, donc l’autonomie, qui jusque-là a préservé la paix. N’oublions pas qu’il y aura bientôt des élections à Taïwan. Même si ce ne sera pas un choix binaire — indépendance ou absorption — une nouvelle donne sera néanmoins révélée par le scrutin.

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<< photo by Andrea Piacquadio >>
L’image est uniquement à des fins illustratives et ne représente pas la situation réelle.

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Moreau François

Bonjour, je suis François Moreau. Je suis spécialisé dans la couverture des sujets économiques, avec un intérêt particulier pour la technologie et l'innovation. J'apporte une analyse nuancée et perspicace à tous mes reportages.

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